Audrey Gatian – TPBM
Audrey Gatian : « La complexité n’est pas une excuse pour ne pas agir ! »
Bailleur historique de la deuxième ville du pays, Marseille Habitat est depuis des années en première ligne sur le front de la lutte contre l’habitat indigne. Un engagement qui lui a valu de se retrouver dans l’œil du cyclone le 5 novembre 2018, en tant que propriétaire de l’un des immeubles effondrés de la rue d’Aubagne. Une tragédie dont la justice doit désormais démêler l’écheveau des responsabilités. Cette ombre noire fait oublier le rôle important joué par cette société qui est l’un des rares instruments restés dans les mains de la municipalité quand la plupart des autres outils de la sphère aménageuse et immobilière (Soleam, Habitat Marseille Provence…) sont dans le giron métropolitain. Une palette de missions que décrypte sa présidente Audrey Gatian.
TPBM : Vous présidez Marseille Habitat depuis septembre 2020. Pourquoi avez-vous accepté ce mandat ?
Audrey Gatian : Du fait de mon parcours professionnel qui m’a notamment conduit à la direction du Conseil régional de l’ordre des architectes de Provence-Alpes-Côte d’Azur, j’ai développé une grande sensibilité pour les enjeux urbains. Et comme tout le monde, j’ai été marquée par le drame de la rue d’Aubagne.
Après l’alternance de juin 2020, j’ai été nommée adjointe aux mobilités et à la politique de la ville. Cette délégation recouvre le champ d’intervention de Marseille Habitat qui est impliquée dans de nombreux Quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) au chevet de copropriétés dégradées : Kallisté, Parc Corot, Bellevue, etc. Lorsque le conseil d’administration de la société s’est réuni début septembre 2020 pour désigner sa nouvelle gouvernance, je me suis portée candidate à sa présidence. Marseille Habitat reste un outil assez remarquable en dépit de la tragédie du 5 novembre 2018. Celle-ci a mis en lumière la carence de la gouvernance politique.
L’intervention sur certaines copropriétés dégradées a commencé il y a plus de deux décennies. Cela semble un combat sans fin…
Redresser une copropriété partie à la dérive est extrêmement compliqué. Il faut acheter des lots pour peser dans la gestion des immeubles, nommer des syndics compétents, sortir les propriétaires véreux… tout cela en veillant à préserver les habitants en situation de grande précarité qui n’ont pas les moyens de se loger ailleurs. L’équation est connue. Il faut aussi travailler sur le quartier. A Bellevue, nous sommes sur un secteur situé à la lisière d’Euroméditerranée. La dynamique de recomposition urbaine doit rayonner au-delà des frontières de l’opération d’urbanisme au risque sinon de creuser une fracture en plein cœur de la ville. Il convient également de réfléchir à toutes les échelles, verticales comme horizontales. La rénovation du bâti est indispensable. Mais si elle n’est pas inscrite dans un maillage d’espaces publics, d’équipements, de transports collectifs… le chantier reste inachevé. Et pour que la population retrouve de la confiance en la puissance publique, elle doit sentir des changements concrets rapidement. Pour que le projet inscrit sur le temps long suscite une adhésion, il faut aussi agir sur le court terme.
Marseille Habitat est en première ligne sur le chantier de rénovation immobilière du centre-ville. Sa responsabilité est engagée dans le drame de la rue d’Aubagne. Comment continuer à avancer quand même ?
J’ai pris la présidence de la société en connaissance de cause. Cet automne, lors de l’audience judiciaire, j’ai tenu à me rendre personnellement devant le juge qui instruit le dossier. Notre position est claire : nous souhaitons que toute la lumière soit faite sur ce drame, en toute transparence. La société ne cachera rien. Et elle ne se défaussera pas. La justice voulait la mettre en examen [en tant que personne morale, NDLR]. Alors que nous aurions pu demander le statut de témoin assisté, nous avons choisi de ne pas le faire afin de faciliter le travail des magistrats.
Si la responsabilité de Marseille Habitat était avérée, elle devrait en répondre. Nous devons cela aux victimes de ce drame qui a marqué la ville.
Le drame de la rue d’Aubagne a jeté une lumière crue sur la situation du mal-logement dans le centre de Marseille. Comment sortir de l’ornière ce parc privé en déshérence ?
Intervenir dans le diffus d’un centre ancien est toujours compliqué. Mais la complexité n’est pas une excuse pour ne pas agir ! D’autres grandes villes comme Paris sont parvenues à déployer avec succès des opérations lourdes de rénovation urbaine dans certains secteurs centraux. Pourquoi Marseille serait-elle condamnée à l’inertie ? La fatalité n’existe pas. L’arsenal mis en place par l’Etat doit nous permettre d’accélérer ce chantier. Cela passera par une clarification de l’écheveau des dispositifs qui s’entremêlent. Tout le monde doit agir dans le même sens. Marseille Habitat apportera évidemment sa pierre à l’édifice. Nous avons d’ailleurs commencé à travailler avec la Société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLA-IN). Nous faisons le point tous les quinze jours.
Avec son parc de 3 500 logements, Marseille Habitat est sous le seuil des 12 000 logements imposé par la loi Elan. Quelle solution comptez-vous mettre en œuvre pour être en règle avec le texte ?
Nous devons effectivement trouver une solution. Le drame du 5 novembre 2018 a fait passer ce dossier au second plan. Voir la société s’adosser à une autre au lendemain de cet événement tragique aurait donné une image désastreuse. Comme si elle cherchait à fuir ses responsabilités dans un tour de passe-passe institutionnel… Nous avons remis le sujet sur la table dès notre arrivée au mois de septembre 2020. Le préfet est vigilant. Nous examinons toutes les possibilités d’adossement avec un credo ferme : la volonté pour la Ville de rester pleinement actrice de son territoire.
Avec l’arrivée d’une nouvelle directrice, comment s’organise le nouvel organigramme de la société ?
La société aborde un virage de son histoire. L’arrivée de Virginie Delormel à sa direction coïncide avec le départ en retraite de trois membres historiques du comité de direction. Ce changement est l’occasion pour ses 55 collaborateurs de s’inscrire dans une nouvelle dynamique. L’organigramme évolue pour être plus adapté aux méthodes de travail d’aujourd’hui et de demain. En fonction des profils des missions, nous procéderons à des promotions internes… et quand les compétences n’existent pas en interne, nous effectuerons des recrutements ciblés afin de répondre aux ambitions de la politique de la Ville en matière d’habitat.
Cette évolution va de pair avec le lancement de grands chantiers. Nous sommes en train de rédiger notre nouvelle feuille de route : le plan à moyen terme que nous déclinons sur les années 2022-2025, le Plan stratégique du patrimoine (PSP)…
Nous avons par ailleurs l’objectif de former les collaborateurs à des process métiers plus en adéquation avec ceux de demain. Cette redistribution des cartes doit permettre de mettre en valeur les forces vives internes en donnant davantage d’autonomie à chacun des collaborateurs. Nous accorderons une attention particulière au service maîtrise d’ouvrage dont l’équipe sera renforcée.
Il s’agit désormais de travailler en mode projet dans une logique participative et collaborative. Enfin, nous allons réintégrer du management intermédiaire afin de fluidifier le management et les prises de décisions.
Quel est l’état du parc immobilier de Marseille Habitat ?
La société gère 5 300 biens dont 3 500 logements conventionnés à 60 %. Deux tiers de ce parc résidentiel correspond à du PLAI [Prêt locatif aidé d’intégration, NDLR], du locatif très social qui permet le logement de personnes en situation de grande précarité. Cette mission sociale, je compte d’ailleurs l’élargir à d’autres publics, au bénéfice des femmes en difficulté par exemple. Par mon engagement militant en tant que présidente fondatrice de l’association « Osez le féminisme » dans les Bouches-du-Rhône, je suis mobilisée depuis des années sur la question des violences faites aux femmes. Je souhaite que Marseille Habitat mette à disposition de femmes victimes de leurs conjoints des solutions d’hébergement transitoires, le temps pour elles de se reconstruire.
Comment seront détectées ces femmes ?
Mon engagement au sein d’Osez le féminisme fait de moi un relais dans ce combat. Je rencontre régulièrement des femmes en plein désarroi. Les trois conseillères familiales et sociales de Marseille Habitat seront là pour accompagner les femmes menacées de se retrouver à la rue. Elles les épauleront dans leurs démarches pour leur permettre d’accéder à un toit qui les éloigne de l’emprise de leurs conjoints violents. En agissant ainsi, la société sera fidèle à sa mission sociale.
Article de TPBM par William ALLAIRE –